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The Paradise


Sont narrées la vie et les amours de gens dont le travail est lié au premier grand magasin du nord de l’Angleterre : The Paradise. Le propriétaire, John Moray, veuf et fils de marchands de tissus, a développé sa petite boutique jusqu'à dominer la grande rue au détriment des petits commerçants. De la petite ville de Peebles arrive Denise Lovett, dont l'oncle est justement un petit commerçant luttant pour sa survie. Embauchée au Paradise, Denise Lovett est de plus en plus considérée par John Moray comme l'étoile montante de son enseigne, au grand dam de Miss Audrey, la chef des rayons de mode féminine, et de Clara, une vendeuse. John Moray est financièrement dépendant de Lord Glendenning, dont la fille Katherine est déterminée à se marier avec le patron du grand magasin et voit donc en Denise Lovett une menace.

 

Planter le décor

En 1870, une jeune provinciale (Denise Joanna Vanderham) débarque à Londres pour y travailler dans la boutique de son oncle drapier. Les choses ne se passant jamais comme elles devraient, l’oncle, au bord de la faillite, ne peut pas engager la jolie Denise. En effet, les affaires vont au plus mal depuis l’installation, en face de sa boutique, du premier grand magasin de la ville, The Paradise.

Denise, tiraillé entre sa fascination pour « le paradis » et son devoir vis-à-vis de son oncle, se résout la mort dans l’âme à postuler là ou l’on embauche. Malgré ses bottes boueuses et son aspect négligé, le propriétaire du magasin n’est pas insensible à … son charme ? ou à l’opportunité de narguer l’oncle ? sans doute un peu des deux. Denise va donc démarrer le difficile apprentissage du commerce au Paradis ou l’envers du décor y est beaucoup moins glamour !

Un monde de petits tyrans

Replaçons-nous dans le contexte de l’époque de la série (fin du XIXe siècle) : Dans l’échelle sociale, les employés sont à la merci du bon vouloir… de la terre entière ! Des caprices des clients qui les considèrent plus bas que terre, de la direction qui les licencie sans préavis aux périodes les plus creuses, des petits chefs qui sous prétexte d’une ancienneté ou d’un avantage minime s’autorisent toutes les humiliations, toutes les bassesses. Chaque vendeur ou vendeuse est soumis au même régime : ceux qui vendent ont de quoi survivre, les autres doivent se résigner à toutes les compromissions.

Denise, dont la candeur et la droiture en font la proie idéale, est donc en butte aux attaques constantes des autres vendeuses et particulièrement de Clara qui n’a de cesse de l’humilier et de la rabaisser. Son épisodique liaison avec le patron (Moray) lui fait redouter cette jolie provinciale qui semble attirer tous les regards de son amant d’un soir.

La jalousie professionnelle et personnelle qui règne au sein de The Paradise ne permet évidemment pas l’épanouissement personnel et le développement d’idées originales (ceci est un euphémisme, vous l’aurez compris). Denise doit également lutter contre elle. En effet, son enthousiasme et la modernité de ses idées sont perçues par Miss Audrey, la responsable du rayon lingerie, comme autant de provocations ou en tout cas de remises en question de son autorité.

Pas si blanc

Tout l’intérêt d’une série et particulièrement de celle-ci repose dans la complexité psychologique des personnages et dans la capacité des acteurs à nous faire partager cette ambivalence.

Attention, spoiler

La dureté de Miss Audrey se révèle être une carapace pour cacher une fragilité à fleur de peau. On louera l’interprétation absolument formidable de Sarah Lancashire, en responsable du rayon lingerie, tout en retenue, à la fois émouvante et sans pitié, sympathique et insupportable.

Katherine s’avère être une manipulatrice absolue qui n’hésite pas à écraser sur son passage tout ceux qui l’empêche d’arriver à son but. Elaine Cassidy, vue dans de nombreux films et séries (dont l’oubliable Harper’s Island) campe ici une jeune fille pourrie gâtée par son père et qui jetant son dévolu sur Moray, décide de se faire épouser. Fille du principal banquier de The Paradise, la position de Moray est donc très complexe.

Moray, que l’on perçoit, au démarrage comme un séducteur est en fait rongé par la mort de sa femme. Pris en tenaille entre son ambition démesurée pour The Paradise et son attirance grandissante pour Denise, son envie d’accéder à la respectabilité sociale tout en restant proche de son personnel, il est à la fois dans l’action et dans le lâcher prise.

Et enfin, la lumineuse Denise, extraordinaire dans le rôle, est évidemment le personnage le plus attachant : tiraillé entre son devoir (vis-à-vis de son oncle) et son admiration pour le grand magasin. Son ambition, ses idées novatrices en font un élément de modernité et d’allant dans un univers finalement très réactionnaire.

Revenir en arrière

Créer une série narrant la vie du début du siècle s’avère souvent soit pénible, soit totalement décalé et ben non … Les huis clos historiques sur fond de politique (Downton Abbey) nous avait déjà passionnés, les mêmes sur fond de trame sociale sont tout autant passionnants.

La résistance organisée des petits commerces contre le grand méchant magasin capitaliste est particulièrement bien vu dans l’épisode 7, la question des conditions de travail et surtout de la parole d’un employé contre celle d’une cliente riche et noble dans l’épisode 2 crée un suspens haletant.

Au-delà du décor qui est finalement réduit au strict minimum (la rue, le magasin), l’histoire du paradis est véritablement très contemporaine et pourrait se comparer aisément à l’ambiance d’un magasin beaucoup plus moderne portant le nom d’une saison… Les costumes sont magnifiques et pour vous confier un secret, je ne sais pas vous mais moi, les robes à crinoline et les chapeaux à fleurs, j’adore !

Les anglais sont vraiment trop fort

Depuis quelques années, la BBC nous confirme avec brio sa capacité à concevoir des chefs d’œuvre (oui, le mot est fort mais j’assume). A travers des genres très différents, elle nous transporte et nous tient en haleine sur plusieurs saisons à travers l’histoire d’une famille au début du siècle. Et pourtant, point de cascades, de voitures qui explosent, de montages au cordeau, d’effets spéciaux ébouriffants et de post-production à faire pâlir d’envie le budget annuel des restos du cœur.

J’avoue, je ne suis absolument plus objective depuis qu’ils ont eu l’audace insensée de revisiter Sherlock Holmes au XXIe siècle ! Ma consternation en lisant le pitch m’avait convaincu de bouder la série mais un responsable de blog dont je tairais le nom en ayant fait une chronique élogieuse, j’ai du bout des doigts testé et j’ai été conquise, sous le charme, séduite, bluffée.

Alors depuis, je manque de recul mais tant pis… Et puis, j’avoue que dans ce désert (télé) visuel, les bonnes séries sont les bienvenues. En dehors de deux ou trois exceptions, aucune pseudo nouveauté de cette rentrée n’aura passé le cap du troisième épisode.

La difficile adaptation d’un classique (Au Bonheur des Dames)

Adaptée du roman de Zola, The Paradise aurait pu tomber dans le piège facile d’une bluette entre Denise et Murray autour d’un décor joliment crée. La profondeur du roman de de l’écrivain naturaliste français, la justesse de son propos et sa vision déjà si moderne (le roman date de 1883) de l’évolution du commerce et du service sont saisissantes. Et même si ici, le propos social n’apparaît qu’en pointillé, on applaudit à deux mains une réalisation ambitieuse, colorée et assez respectueuse.

J’ai relu avec bonheur (décidément, …) le roman de Zola pour écrire cette note. Je l’avais lu avec plaisir lors de mes jeunes années et j’avoue que la relecture m’a apportée encore plus de contentement. Une écriture incroyablement visuelle, le détail du logement de Denise et la description de son dénuement sont extrêmement vivants et émouvants. L’égoïsme de son entourage (de son frère) et le cynisme dont fait preuve Zola dans la description de ses personnages est incroyablement moderne.

On espère la suite avec impatience tout en se demandant avec curiosité ce que les scénaristes vont nous inventer étant donné que le dernier épisode de la série s’arrête au même rebondissement que le roman : nos deux héros tombent dans les bras l’un de l’autre.

Soyons critiques

Bon, vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé cette série mais attention, elle ne m’a pas fait perdre tout sens critique et je sens les commentaires acides sur mon manque de recul alors je prends les devants et vous fait la liste de tout ce qui aurait dû, aurait pu,…

Un montage parfois étrange : chaque épisode dure environ soixante minutes et bizarrement, l’intrigue et le développement de l’histoire et des personnages s’étalent de manière très harmonieuse sur les cinquante premières. Puis viennent les dix dernières minutes de la série ou le monteur ? le réalisateur ? pris d’une frénésie et d’un stress terrible à l’idée de ne pas finir à temps, nous offre une succession de scènes sans cohérence les unes avec les autres à la manière d’un teaser pour l’épisode suivant. Un peu surprenant, l’on s’habitue tout en ayant l’envie d’envoyer un mail au réal pour le rassurer sur la pérennité de sa série !

Une comédie à l’eau de rose : il est évidemment question d’amour dans cette série (entre Denise et Moray), mais cette question reste en second plan et apporte à l’histoire une dimension humaine supplémentaire. Et pour les rabat-joie qui détestent les histoires qui finissent bien, ne regardez pas le dernier épisode !

ARTICLE "LE MONDE"

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