A Westworld, un parc d'attractions dernier cri, les visiteurs paient des fortunes pour revivre le frisson de la conquête de l'Ouest. Dolores, Teddy et bien d'autres sont des androïdes à apparence humaine créés pour donner l'illusion et offrir du dépaysement aux clients. Pour ces derniers, Westworld est l'occasion de laisser libre-cours à leurs fantasmes. Cet univers bien huilé est mis en péril lorsqu'à la suite d'une mise à jour, quelques robots comment à adopter des comportements imprévisibles, voire erratiques. En coulisses, l'équipe, qui tire les ficelles de ce monde alternatif, s'inquiète de ces incidents de plus en plus nombreux. Les enjeux du programme Westworld étant énormes, la Direction ne peut se permettre une mauvaise publicité qui ferait fuir ses clients. Que se passe-t-il réellement avec les androïdes ré-encodés ?
C'est le plus gros projet de la fameuse chaîne câblée HBO depuis le mastodonde Game of Thrones. Westworld est sans discussion la nouveauté la plus attendue de cette saison américaine 2016-2017. Une superproduction dont le chantier a duré plus de trois ans, au scénario a priori truffé d'action et de mystère, au sous-texte philosophique potentiellement vertigineux, portée par un casting impressionnant. Ce projet ambitieux, produit par l'omniprésent J.J. Abrams, pourrait devenir, s'il tient la route, le successeur du blockbuster de George R.R. Martin. C'est donc peu dire que la pression est grande alors que sa diffusion débute dimanche 2 octobre outre-Atlantique, et dès le lundi 3 octobre sur OCS City en France.
Adaptation du film de Michael Crichton Mondwest (1973), Westworld se déroule dans un parc d'attraction futuriste, où de riches « invités » viennent revivre l'époque du far west et assouvir leurs fantasmes les plus inavouables, sans pour autant en subir les conséquences. Car tous les « hôtes » qui les reçoivent (et se font battre, tuer et violer à longueur de journée) sont des robots humanoïdes, des machines qui, peu à peu, vont prendre conscience de leur nature, de leur vie et de leurs souffrances…
Planquée dans le sous-sol
Westworld a d'ores et déjà un horizon dégagé. Ses créateurs Jonathan Nolan (Person of interest) et Lisa Joy (Burn Notice) ont annoncé qu'ils ont une feuille de route sur cinq saisons, et les quatre épisodes envoyés à la presse donnent une bonne idée de la matière considérable qu'ils ont entre les mains. En surface, c'est un western, qui réunit les ingrédients du genre : Dolores la belle en danger (Evan Rachel Wood), Teddy le valeureux cowboy (James Marsden), Maeve la mère maquerelle (Thandie Newton), des pistoleros (Rodrigo Santoro, Clifton Collins Jr.) et tous les personnages attendus, dans des décors sauvages avec montagnes, plaines, et ville où des fusillades éclatent à chaque coin de rue. Sauf que tout cela est mis en scène par une équipe planquée dans le sous-sol du parc, composée de sa patronne Theresa (Sidse Babett Knudsen, la première ministre de Borgen), de son programmateur en chef Bernard (Jeffrey Wright), de son vieux concepteur Robert (Anthony Hopkins) et même de son scénariste Lee (Simon Quarterman). Avant même que n'entre en jeu sa problématique centrale, Westworld offre une mise en abyme passionnante, qui aborde les notions de libre arbitre, de prédestination, de liberté, etc.
A l'instar du Dr. Robert Ford (Hopkins), citons Shakespeare : « Etre ou ne pas être, telle est la question »... de ce grand spectacle au souffle métaphysique. Contaminés par un virus joliment appelé « les rêveries », certains robots vont apercevoir des éclats de leur passé, développer une mémoire et donc s'humaniser. Mais leur passé, entassemement de vies brutalement interrompues – un même humanoïde est reprogrammé plusieurs fois, pour tenir différent rôles en fonction de l'inspiration du scénariste du parc – est rarement rose. Quelle nature va ressurgir une fois la machine libérée ? Peut-elle se reprogrammer d'elle même et se retourner contre son créateur – pensez Asimov et Terminator ? Un sentiment non programmé d'amour ou de haine peut-il se développer seul ? Autant de questions, certes déjà abordées par le passé en littérature et en fiction, y compris dans des séries telle que la suédoise Real Humans, mais qui trouvent ici un cadre d'une rare ampleur.
Survivre, dérailler, fuir ?
Il n'y a pas que les robots dans Westworld, il y a aussi les humains qui leur font face. Ces derniers s'interrogent également sur le sens de leur existence, à commencer par Bernard Lowe (Wright), ingénieur en chef au passé douloureux, qui trouve un réconfort dans sa relation avec les robots. Chacun des nombreux personnages, patiemment dessiné – malgré quelques stéréotypes contraints (pour les machines) ou pas (Ford, vieux sage taillé sur mesure pour Hopkins) – porte une piste narrative complexe, entre émotion et mystère. L'enjeu central de la série est aussi redoutablement efficace qu'il est profond : que va-t-il se passer dans les limites de Westworld, qui va vivre, survivre, dérailler, chercher à fuir, à abattre ou à protéger les humanoïdes ? – un peu comme dans Jurassic Park, l'autre attraction imaginée par Michael Crichton. Et, sur un plan plus humain, philosophique et spirituel : qui sont les personnages, d'où viennent-ils, où vont-ils, en quoi et qui croient-ils ?
Entre des mains moins habiles, tout cela pourrait vite devenir indigeste. Mais Nolan, Joy et Abrams, comme nous le disions plus haut, sont prudents – Abrams, cocréateur de Lost, sait ce que c'est que d'avancer à l'aveuglette. Ils mettent lentement en place leur mythologie, prennent le temps d'expliquer comment marche le pac d'attraction, frôlent le didactisme pour s'assurer que les téléspectateurs parviendront à suivre les nombreuses histoires de la série. C'est autant une qualité que son principal défaut : à force d'application, Westworld manque pour l'instant de folie. On sent la retenue des scénaristes qui en gardent sous le pied pour les prochaines saisons. Avec une conséquence regrettable, l'absence de ce que les Américains appellent le « wow factor », ces coups de théâtre explosifs qui font le sel de séries comme Lost (ou aujourd'hui Mr Robot). Même si Westworld ne manque pas pour autant de nerf…
Tubes modernes en mode western
La série profite à loisir de la beauté de ses décors et de la qualité de ses effets spéciaux pour multiplier les séquences fortes : chevauchées, voyages en train, débarquement d'une pelleteuse monstrueuse, etc. Elle déborde aussi de bonnes idées, comme ce piano mécanique qui joue des tubes modernes (Black Hole Sun de Soundgarden, No Surprises de Radiohead…) en mode western. Son récit ne manque ni de souffle ni de poésie, et mêle habilement action, romance, science-fiction et mystère, avec suffisamment de tensions pour capter notre curiosité au-delà de ses enjeux centraux – à commencer par la quête étrange d'un « invité » sans pitié (Ed Harris), qui semble vouloir dépasser les limites du jeu… Ainsi, les autres lacunes de Westworld, une géographie du parc mal définie et un léger manque d'humour, n'enlèvent rien à l'immense plaisir de se lancer dans l'aventure.
Pour faire tenir un tel édifice, il fallait une distribution hors normes. La liste, vertigineuse, réunit des vedettes venues du grand écran, Hopkins, Harris, Wright, Rachel Wood, Newton, et une pléiade d'excellents acteurs connus des sériephiles, dont Knudsen (un peu en-deça, trop tendue pour l'instant) et le formidable Jimmi Simpson (House of Cards), qui pour une fois ne joue pas un type louche mais un nouvel « invité » aux intentions chevaleresques. Il est encore trop tôt pour savoir si Westworld fera aussi bien que Game of Thrones, et prendra sa suite en 2018. Mais ses nombreuses qualités et les promesses qu'elle contient nous donnent très envie d'aller voir ce que chaque recoin de son parc nous réserve…
TELERAMA