La série se concentre sur la Reine Elizabeth II, alors âgée de 25 ans et confrontée à la tâche démesurée de diriger la plus célèbre monarchie du monde tout en nouant des relations avec le légendaire premier ministre Sir Winston Churchill. L’empire britannique est en déclin, le monde politique en désarroi… une jeune femme monte alors sur le trône, à l’aube d’une nouvelle ère.
“The Crown”: le délicieux récit d’une prise de pouvoir féministe
Le nouveau mastodonte sériel de Netflix raconte avec souffle et légèreté le début du règne d’Elisabeth II. Une “jolly” surprise.
Une couronne pèse probablement trois tonnes. A voir la tête de la frêle reine Elisabeth revêtant l’ornement pour la première fois en 1952, sous les encouragements d’un servant zélé, la pensée nous a traversé l’esprit. Une série historique pèse souvent trois tonnes, elle aussi. Trop d’accent anglais, de mines déconfites pseudo-shakespeariennes et de précieux costumes éclairés en contrejour l’ont souvent confirmé. Mais les miracles existent.
Une étrange légèreté se dégage de The Crown, la saga millionnaire (en budget) proposée par Netflix pour raconter la vie de la femme qui a fêté au printemps dernier ses 90 ans et continue d’arborer d’innombrables coiffes en saluant les foules – mais pas seulement. Dix saisons sont déjà prévues. God save the Queen, vraiment ?
Des manigances avec Winston Churchill
L’amour des séries demande constamment de la nouveauté. Ou plutôt : de la nouveauté, avec ce qu’il faut de déjà-vu pour succomber aisément. Downton Abbey a laissé tomber ses fans depuis presque un an et il se pourrait bien que le substitut made in Britain se trouve là. The Crown en a tous les atours et sans doute plus encore. Rarement a-t-on croisé série plus accueillante.
Dans ses premiers épisodes enlevés, elle raconte comment, après la mort de son père le roi George VI, la jeune Elisabeth a vu le trône du royaume britannique s’ouvrir à elle. On ajoutera de nombreuses intrigues de palais, jalousies familiales, manigances politiques en compagnie du Premier ministre Winston Churchill – joué par un John Lithgow un peu en roue libre, seule vraie faiblesse de l’ensemble à ce jour – et le tableau prend forme.
Le créateur et scénariste unique de The Crown s’appelle Peter Morgan. Pour tout dire, pas forcément un ami de la maison. L’homme a signé les scénarios malins mais pépères de The Queen et du Dernier Roi d’Ecosse qui, au cinéma, donnèrent lieu à des sommets d’académisme bon genre.
Un académisme qui n’est pas complètement absent de la série – Stephen Daldry, l’homme de Billy Elliot, en a réalisé le début – mais se glisse sans effort sous les ors d’une écriture précise, rapide, sachant délimiter son sujet. Loin du pudding redouté, The Crown sait respirer, envoie au spectateur un souffle romanesque plutôt rare. Pour un peu, on se croirait dans un roman russe du XIXe siècle. A moins que nous ne soyons en présence d’un soap historique 100 % dentelle.
Si The Crown séduit malgré l’inénarrable coup de mou de milieu de première saison – après un démarrage riche en événements –, ce n’est pas à cause de la richesse de sa production mais parce qu’elle sait trouver un angle neuf pour aborder un sujet rebattu. Ici, la reine Elisabeth (jouée par la discrète et impressionnante Claire Foy) n’est pas seulement une icône de la culture populaire en devenir, mais d’abord une jeune femme de 25 ans et des poussières à la recherche de la voie qui lui convient. Le pouvoir lui tombe dessus, comme il tombe sur très peu de femmes, et tout l’enjeu consiste pour elle à en tirer une liberté d’action.
Pour employer un terme contemporain et mal traduit en français, la série raconte avec fougue un empowerment, soit la mise en perspective de la capacité d’agir d’une personne appartenant à une minorité. Les meilleures scènes montrent la reine discutant de gré à gré avec des hommes qui, très vite, comprennent qu’ils ne la soumettront pas, y compris son mari. Celui-ci lâche dans le cinquième épisode cette réplique magnifique, un quasi néologisme : “Arrête de me matroniser” (“Stop matronizing me”, référence à “patronizing”, synonyme de condescendance masculine). Le patriarcat n’a qu’à bien se tenir : Elisabeth II est une féministe d’aujourd’hui.